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— 1814 —

leurs, les sénateurs recherchaient et saisissaient l’occasion de resserrer les liens qui pouvaient enchaîner Alexandre à leurs intérêts de position ou de vanité. Ils interrogeaient sa pensée sur toutes les questions de politique générale ou de gouvernement qui venaient à se présenter. Ils applaudissaient à toutes ses paroles comme à des éclairs de génie ; ils le plaçaient, dans leurs brochures et dans leurs discours, au-dessus de Trajan et des Antonins ; et, quand ils daignaient descendre des hauteurs de l’antiquité pour entrer dans les faits de notre époque, ils lui décernaient les titres de fondateur de liberté française et de héros citoyen. Ce grossier encens enivrait Alexandre ; sa prépondérance, au reste, était réelle ; durant quelques semaines il fut le véritable souverain de Paris. Bon nombre d’ambitieux et d’intrigants, prenant ce rôle au sérieux, sollicitèrent directement de lui des faveurs et des places. Les pétitions affluèrent en quantité si considérable, et les demandeurs se montraient si incommodes, si exigeants, que le Tzar se vit obligé de faire insérer dans le Moniteur du 7 avril une note, dans laquelle il disait « que, s’étant imposé la loi de n’exercer aucune influence sur tout ce qui tenait à l’exécution des lois et des règles de l’administration publique, il invitait les solliciteurs à s’adresser au gouvernement provisoire. »

La bassesse et l’avidité, comme on le voit, existaient ailleurs que dans le Sénat. Les bureaux du gouvernement provisoire ne désemplissaient pas de gens qui venaient offrir leurs services. Deux secrétaires étaient uniquement occupés à les écouter et à les éconduire ; deux autres avaient pour mission spéciale de recevoir les demandes de ceux que leur éloignement empêchait de se présenter en personne ; de les jeter, sans les lire, dans d’immenses cartons que jamais aucune main ne devait fouiller, et d’envoyer au Moniteur les adhésions des généraux, des corps militaires et des autorités constituées. Ces employés composaient, en quelque sorte, tout le personnel administratif du singulier gouvernement installé à l’entre-sol de l’hôtel Saint-Florentin, au-dessous de