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— 1814 —

toire remplie de leurs bienfaits ; j’ai encore l’histoire de tous vos malheurs : comment l’une ou l’autre vous aurait-elle conféré des droits à faire oublier les miens ? cette même constitution, loin de les méconnaître, les consacre : ne dit-elle pas que la loi ne peut être faite qu’avec moi[1] ? »

Le lendemain, dans une autre dépêche, M. de Montesquiou ajoutait :

« M. de Talleyrand me disait, hier, que Sa Majesté, en entrant en France, devait publier un Édit où elle déclarerait à la fois ses intentions et son entrée dans l’exercice de la souveraineté ; cette manière de procéder indépendamment de toute constitution a l’avantage d’éconduire celle du Sénat, de l’éconduire lui-même et de laisser au roi tout l’honneur des priviléges qu’il accorderait à la nation. Le Sénat, pourtant, ne se prépare pas à l’obéissance ; il se prépare à manger son président, parce que M. Barthélémy n’est point un homme de parti, et il veut mettre à sa place le grand républicain Lambrecht. Le Sénat n’a aucune force, on le méprise ; mais tous les mécontents sont prêts à se mettre à sa suite. Il est donc sage de traiter avec certains membres ; ces négociations particulières seraient d’un merveilleux effet.

Une déclaration faite en entrant dans le royaume, pleine de bonté et de générosité, est donc ce qu’il y a de mieux ; point de doute qu’il ne faille mettre Roi de France et de Navarre ; je crois même qu’elle doit être intitulée Édit du roi ; la nation désire de l’ancien ; tout ce qui l’en rapproche lui sied comme à la royauté même[2]. »

Ce qui contribuait surtout à donner au Sénat une confiance et une sécurité assez fortes pour braver les attaques de ses adversaires de tous les partis, c’était la protection, disons mieux, la complicité politique d’Alexandre. Non-seulement la nomination du gouvernement provisoire et la déchéance de Napoléon, premiers actes du Sénat, avaient été prescrits ou autorisés par l’empereur de Russie ; non-seulement la constitution du 6 avril était encore le résultat d’un ordre de ce souverain, mais lui-même avait participé, dans la personne de son premier ministre Nesselrode, à la rédaction de chacun des articles de l’élucubration sénatoriale. Chaque jour, d’ail-

  1. Art. 5 de la constitution sénatoriale. Cet article exigeait, pour la confection des lois, le concours du roi, du Sénat et de la Chambre des députés.
  2. Notes et dépêches de l’abbé de Montesquiou à Louis XVIII, trouvées aux Tuileries après le 20 mars 1815.