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— 1814 —

dans lesquelles on lui refusait le droit de disposer du trône et de parler au nom de la France, la constitution sénatoriale, sifflée, conspuée par tous les partis, reçut le nom de constitution de rentes. Les sénateurs restèrent impassibles. « Comblez un homme de bienfaits, a dit Montesquieu, la première idée que vous lui inspirerez, c’est de chercher les moyens de les conserver ; ce sont de nouveaux intérêts que vous lui donnez à garantir. » Là est le mot de la plupart des défections du mois d’avril 1814. Napoléon avait gorgé les sénateurs d’honneurs, de dignités, de dotations. Dès que sa puissance fut sur son déclin, aussitôt qu’ils purent craindre de n’avoir plus rien à recevoir de ce prince, les sénateurs précipitèrent sa chute et se donnèrent un nouveau maître, en imposant à ce dernier la condition de rendre héréditaires leurs dignités et leurs traitements auparavant viagers, et de convertir en propriétés inaliénables pour toute leur descendance mâle les dotations dont ils n’avaient d’abord que l’usufruit. Ainsi pourvus et garantis, que leur importaient les critiques des gens sérieux et les brocards de la foule ? Opposant aux traits lancés contre eux la double cuirasse de leur avidité et de leur égoïsme, les sénateurs, non-seulement ne sentaient rien, mais poussaient l’impudence jusqu’à tirer vanité de leur œuvre, jusqu’à se poser en patriotes, en martyrs qui ne craignaient pas de jouer leur fortune, même leur existence, pour sauver les conquêtes morales et matérielles de la Révolution.

Tandis que le Sénat se décernait ces couronnes et croyait sérieusement à l’éternité de ses dignités et de ses dotations, M. de Montesquiou, annonçant au chef de la maison de Bourbon son rappel au trône et les conditions mises à son retour par les sénateurs, disait à ce prince :

« La constitution ne saurait devenir un embarras pour Sa Majesté. Elle peut dire au Sénat : Vous prétendez me donner des lois au nom de la nation qui vous a fait connaître ses intentions ? ou sont vos mandats ? Quels sont vos titres ? Vous n’avez que ceux qui vous furent concédés par Napoléon ; j’ai au contraire ceux de mes pères ; j’ai toute notre his-