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— 1800 - 1807 —

et dont le visage exprimait le mécontentement, il s’adressa à l’un d’eux, républicain convaincu et chef militaire aussi distingué par son talent qu’estimé pour son caractère, le général de division Delmas : « Eh bien, général, lui dit-il, est-ce que la cérémonie ne vous a pas semblé brillante ? — Oui, sans doute, elle était belle, répondit Delmas ; mais il y manquait le million d’hommes qui se sont fait tuer pour détruire toutes ces capucinades ! »

Ces mécontents se groupaient autour de Moreau. Doué d’une grande bravoure personnelle, général illustré par d’éclatantes victoires, renommée pure sous le rapport de l’argent, mais caractère faible et bon, que menaient ses alentours et que dominait une femme remuante, ambitieuse, Moreau était sans fermeté dans l’esprit, et manquait des qualités qui font l’homme politique. Nous avons dit la part qu’il prit au coup de main de brumaire ; son dévouement pour Bonaparte fut alors sans réserve. Mais, plus tard, lorsque la personnalité de l’ancien général de l’armée d’Italie devint dominante, et que, s’étant fait nommer Consul à vie, il eut ainsi assuré et fortifié dans ses mains toute l’influence et tous les pouvoirs, on excita la jalousie de Moreau, on s’efforça de lui persuader que, lui aussi, il avait droit à la première place, et que les intérêts de la France, comme ceux de sa propre gloire, lui ordonnaient de combattre et de renverser la nouvelle dictature. Moreau entendait toutes les plaintes, écoutait les mécontents, mais sans jamais s’engager.

D’un autre côté, demeuré étranger aux faits politiques de la Révolution, Moreau n’avait aucun acte, dans sa vie, qui put mettre une barrière infranchissable entre lui et les Bourbons ou la Monarchie. Loin de là : placé d’abord, en 1794 et en 1795, sous les ordres de Pichegru, il commandait en chef l’armée du Nord en 1796, au moment même où son ancien général, investi du commandement de l’armée de Rhin et Moselle, négociait sa première trahison avec le prince de