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— 1793 - 1799 —

troublé, s’arrête. Intimidé par l’aspect de cette Assemblée nombreuse dont la solennité était augmentée par le costume éclatant de ses membres, il sent son énergie faiblir. Dans ce moment, un membre placé sur un des bancs inférieurs, Bigonnet, quitte sa place, s’avance vers le général, étend les mains vers lui, et s’écrie : « Que faites-vous, téméraire ? vous violez le sanctuaire des lois ; sortez ! » Bonaparte, à cet instant, était très-pâle ; il semblait frappé de stupeur ; un officier s’approche, et lui dit quelques mots ; le général s’appuie sur son bras, rejoint lentement son escorte, et se retire.

L’agitation produite par cet incident fut longue à se calmer. Nous avons dit que Lucien Bonaparte présidait la séance. Le retour de son frère, ainsi que le plan adopté pour le porter au pouvoir, était en grande partie son œuvre et le succès reposait presque tout entier sur l’influence et sur l’autorité que lui donnait la présidence du Conseil ; il essaya d’apaiser l’orage. « Sans doute, disait-il aux députés qui assiégeaient la tribune, le général venait de faire une démarche irrégulière, inconsidérée ; mais l’intention était bonne : il voulait rendre compte au Conseil de la situation. » Ces explications trouvaient peu de crédit ; la majorité n’était pas disposée à l’indulgence. « Il vient de ternir sa gloire ! » s’écriaient bon nombre de députés ; « Il s’est conduit comme un roi ! » ajoutaient les plus animés. Plusieurs membres demandèrent que le général fût traduit à la barre pour rendre compte de sa conduite. Cette proposition était le préliminaire évident d’une mise en accusation : Lucien se hâta de la faire connaître à son frère.

Ce dernier, entouré par un corps nombreux d’officiers qui le sollicitaient d’en finir par un coup de main, était alors en proie à cette irrésolution qui devait exercer une si grande influence sur les deux époques critiques de sa carrière, en 1814 et en 1815 ; la résistance étonnait et semblait paralyser son génie. Qui pouvait dire, au reste, l’action que la représentation nationale exerçait encore sur les soldats ? Les troupes, depuis