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— 1814 —

cette triste journée : on vit les femmes d’un certain monde prodiguer les bravos, les soins, les caresses, aux soldats alliés, tandis que nos malheureux blessés de la veille, repoussés des ambulances et des hôpitaux faute de places, expiraient, sans secours, dans les rues et sur les chemins. Quelques-unes de ces femmes, vers le boulevard de la Madeleine, se précipitèrent au milieu du groupe qui accompagnait l’empereur de Russie et le roi de Prusse, poussant des cris de joie et s’efforçant de saisir les mains des deux monarques ; d’autres, plus retenues, jetaient, sous les pieds des chevaux de ces princes et de leurs généraux, les bouquets de myrte et de laurier dont elles s’étaient parées. L’élégante et belle comtesse Edmond de Périgord (depuis duchesse de Dino), nièce de M. de Talleyrand, se promena, dans la soirée, assise à cheval derrière un Cosaque. Les filles perdues, le 31, ne parurent nulle part : les saturnales de la rue et de la place publique, ce jour-là, appartinrent aux dames riches et titrées.

Il faut rendre cette justice aux aristocraties étrangères : les classes élevées de Vienne, de Berlin et de Madrid, ne prostituaient pas avec cette impudeur la dignité nationale de leur pays lorsque nos soldats entraient en vainqueurs dans les murs de ces capitales. On sait l’accueil fait à nos troupes par la noblesse russe, le jour où elles franchirent l’enceinte de la vieille Moscou !

Les souverains, après avoir suivi la ligne des boulevards jusqu’à la place Louis XV, s’étaient arrêtés à l’entrée des Champs-Élysées pour y présider au défilé de leurs soldats. L’état-major qui les entourait était nombreux, et on pouvait remarquer au milieu de ce groupe, à quelques pas d’Alexandre, un colonel et un simple hussard français, tous les deux à cheval, en grand uniforme, et portant la cocarde tricolore : c’étaient le colonel Fabvier et son soldat d’ordonnance, qui, l’un et l’autre, n’avaient pas cessé, depuis la barrière, de marcher derrière les souverains. Longtemps le colonel demeura