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— 1793 - 1799 —

Chacun d’eux, comme on le voit, se disputait le premier rôle. Disons-le pourtant : dans cette discussion, le prince émigré montrait un sentiment de nationalité que n’avait pas le général de la République. Ce n’est pas tout : Pichegru, avant d’arborer le drapeau blanc, voulait des garanties plus solides que les promesses transmises par les intermédiaires de la négociation ; il exigeait un engagement écrit de la main du prince. Ce dernier éluda longtemps la demande. Sa résistance ne prenait pas sa source dans le dégoût qu’inspire la trahison à tous les cœurs honnêtes ; ce qui lui répugnait, c’était d’abaisser l’orgueil de sa race et de son rang jusqu’à entrer en correspondance directe, écrite, avec un parvenu républicain. Il dut pourtant céder ; il écrivit[1].

Les échecs volontaires essuyés par Pichegru, devant Mayence, avaient éveillé les soupçons du Directoire ; quelques indices sur la négociation qui se suivait augmentèrent sa défiance. Pichegru, dans les premiers jours d’avril 1796, reçut inopinément l’ordre de quitter l’armée, et se vit obligé de se rendre à Paris.

La contre-révolution royaliste, à cette époque, entrait dans un nouvel ordre d’efforts. Jusqu’à ce moment, elle avait procédé par voie d’insurrection. Mais le nombre et l’énergie des dévouements qu’exigent les luttes de cette nature n’existaient plus dans les masses ; la force insurrectionnelle du parti roya-

  1. Voici, au sujet de cette lettre, quelques détails sur la lutte qu’un des négociateurs de l’affaire eut à soutenir contre le prince de Condé ; c’est le comte de Montgaillard lui-même qui parle :
    « Il fallut neuf heures de travail, assis sur son lit, à côté de lui, pour lui faire écrire au général Pichegru une lettre de neuf lignes. Tantôt il ne voulait pas qu’elle fût de sa main ; puis il ne voulait pas la dater ; puis il ne voulait pas l’appeler le général Pichegru, de peur de reconnaître la République en lui donnant ce titre ; puis il ne voulait pas y mettre l’adresse ; puis il refusait d’y apposer ses armes ; enfin il combattit pour éviter d’y placer son cachet. Il se rendit à tout enfin, et lui écrivit qu’il devait ajouter pleine confiance aux lettres que je lui avais écrites en son nom et de sa part. » (Pièces trouvées à Venise, dans le portefeuille du comte d’Antraigues, p. 9.)