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bien souvent elles sont plus élégantes et meilleures que celles qui sont dans la raison, et dans la règle ordinaire, jusque-là qu'elles font une partie de l'ornement et de la beauté du langage. 3. En un mot, l'Usage fait beaucoup de choses par raison, beaucoup sans raison, et beaucoup contre raison. Par raison, comme la plupart des constructions grammaticales, par exemple, de joindre l'adjectif au substantif en même genre et en même nombre, de joindre le pluriel des verbes au pluriel des noms, et plusieurs autres semblables. Sans raison, comme la variation ou la ressemblance des temps et des personnes aux conjugaisons des verbes, car quelle raison y a-t-il que j'aimais veuille plutôt dire ce qu'il signifie que j'aimerais, ou que j'aimerais veuille plutôt dire ce qu'il signifie que j'aimais, ni que je fais et tu fais se ressemblent plutôt que la seconde et la troisième personne tu fais et il fait? Non pas que je veuille dire que cette variation se soit faite sans raison, puisqu'elle marque la diversité des temps et des personnes qui est nécessaire à la clarté de l'expression, mais parce qu'elle se varie plutôt d'une façon que d'autre par la seule fantaisie des premiers hommes qui ont fondé la langue. Toutes les conjugaisons anomales sont sans raison aussi. Car par exemple, cette conjugaison Je vais, tu vas, il va, nous allons, vous allez, ils vont est sans raison. Et contre raison, par exemple, quand on dit péril éminent pour imminent, recouvert pour recouvré, quand on fait régir le verbe non pas par le nominatif, mais par le génitif, et qu'on dit une infinité de gens croient, et plusieurs autres semblables qui se voient dans ces Remarques. Car il ne faut pas dire que ce soit le mot collectif infinité qui fasse cela, parce qu'étant mis avec un génitif singulier, ce serait une faute de lui faire régir le pluriel, et de dire "une infinité de monde croient". Ces Remarques fourniront grand nombre d'exemples de tous les trois, de ce que l'Usage fait avec raison, sans raison, et contre raison, à quoi je renvoie le Lecteur.