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quel temps elle a commencé à sortir comme d'un Chaos, et à se défaire de la barbarie, qui l'a tenue durant tant de siècles dans les ténèbres, sans qu'elle nous ait laissé aucun monument des mémorables actions de nos Gaulois, que nous n'avons sues que par nos ennemis? Il est vrai que nous pouvons dire que ces glorieux témoignages sortis d'une bouche ennemie sont plus certains, et que ces grands hommes avaient tant de soin de bien faire qu'ils ne se souciaient guère de bien parler ni de bien écrire. N'eût-il pas représenté notre langue comme en son berceau, ne faisant encore que bégayer, et ensuite son progrès, et comme ses divers âges, jusqu'à ce qu'enfin elle est parvenue à ce comble de perfection où nous la voyons aujourd'hui? Il eût bien osé la faire entrer en comparaison avec les plus parfaites langues du monde, et lui faire prétendre plusieurs avantages sur les vulgaires les plus estimées. Il lui eût ôté l'ignominie de la pauvreté qu'on lui reproche, et parmi tant de moyens qu'il eût eu de faire paraître ses richesses, il eût employé les Traductions des plus belles pièces de l'Antiquité, où nos Français égalent souvent leurs Auteurs, et quelquefois les surpassent. Les Florus, les Tacites, les Cicérons même, et tant d'autres sont contraints de l'avouer, et le grand Tertullien s'étonne que, par les charmes de notre éloquence, on ait su transformer ses rochers et ses épines en des jardins délicieux. Il ne faut donc plus accuser notre langue, mais notre génie, ou plutôt notre paresse, et notre peu de courage, si nous ne faisons rien de semblable à ces chef-d'œuvres qui ont survécu tant de siècles et donné tant d'admiration à la postérité. Après cela, il eût encore fait voir qu'il n'y a jamais eu de langue où l'on ait écrit plus purement et plus nettement qu'en la nôtre, qui soit plus ennemie des équivoques et de toute sorte d'obscurité, plus grave et plus douce tout ensemble, plus propre pour toutes sortes de styles, plus chaste en ses locutions, plus judicieuse en ses figures, qui aime plus l'élégance et l'ornement, mais qui