Page:Vaugelas - Remarques sur la langue françoise, tome 1, 1880.djvu/109

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il est vrai qu'il y a de certains mots qui ne sont pas encore absolument condamnés, ni généralement approuvés, comme au surplus, affectueusement, à présent, aucunefois et plusieurs autres semblables. Je ne voudrais pas blâmer ceux qui s'en servent, mais il est toujours plus sûr de s'en abstenir, puisqu'aussi bien on s'en peut passer, et faire des volumes entiers très excellents sans cela. Ces Messieurs, pour grossir leurs plaintes, et rendre leur parti plus plausible, allèguent encore certains autres mots, dont je n'ai jamais ouï faire de scrupule, tant s'en faut que je les aie ouï condamner, comme ces adverbes aujourd'hui, soigneusement, généralement. Cela m'a surpris. Il ne se faut jamais faire des chimères pour les combattre.

Pour ce qui est de ces deux mots, vénération et souveraineté, où ils triomphent aussi, il est vrai que M. Coëffeteau n'a jamais voulu user de l'un ni de l'autre, mais a toujours dit souveraine puissance pour souveraineté et avoir en grande révérence pour avoir en grande vénération. Néanmoins, de son temps, il n'y a eu que lui qui ait eu ce scrupule, en quoi il n'a pas été loué, ni suivi. L'un et l'autre sont fort bons, et particulièrement vénération, que j'aimerais mieux dire que révérence, quoiqu'excellent en la phrase que j'ai rapportée. Pour souveraineté, il y a des endroits dans le genre sublime, où souveraine puissance serait beaucoup plus élégant que souveraineté. Voilà quant aux mots. Leurs plaintes ne sont pas plus justes pour les phrases. Ils ne peuvent souffrir qu'on s'assujettisse à celles qui sont de la langue, et nous accusent de la rendre pauvre sur ce mauvais fondement que nous posons, disent-ils, que ce qui est bien dit d'une sorte, ce sont leurs termes, est par conséquent mauvais de l'autre. Il est indubitable que chaque langue a ses phrases, et que l'essence, la richesse et la beauté de toutes les langues, et de l'élocution, consistent principalement à se servir de ces phrases-là. Ce n'est pas qu'on n'en puisse faire quelquefois, comme j'ai dit dans mes Remarques, au lieu qu'il n'est jamais