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n'ont-ils dont laissé à la postérité que leurs plus mauvaises pensées, parce que cette scrupuleuse et ridicule pureté, à laquelle ils s'attachaient trop, les a empêchés de nous donner les bonnes?

Ce qui a trompé ces Messieurs, c'est qu'ils ont confondu deux choses bien différentes, et qui toutefois sont bien aisées à distinguer: l'Usage public, et le caprice des particuliers. À la vérité, de ne vouloir pas dire que quelque chose s'abat (je ne rapporte ici que leurs exemples) à cause de l'allusion ou de l'équivoque qu'il fait avec le Sabbat des Sorciers, ni se servir du mot de pendant, à cause d'un pendant d'épée, et plusieurs autres semblables, j'avoue que cela est ridicule, et digne des épithètes et de la bile de ces Messieurs. Mais il en faut demeurer là, car de passer de la fantaisie d'un particulier à ce que l'Usage a établi, et de blâmer également l'un et l'autre, c'est ne savoir pas la différence qu'il y a entre ces deux choses. Par exemple, ils se plaignent de ce qu'on oserait plus dire face pour visage, si ce n'est en certaines phrases consacrées. Est-ce une chose digne de risée, comme ils la nomment en triomphant sur ce mot, de se soumettre à l'Usage en cela, comme en tout le reste? C'est véritablement une chose digne de risée, qu'on ait commencé à s'en abstenir par une raison si ridicule, et si impertinente, que celle que tout le monde sait, et que ces Messieurs expriment, et l'on en peut dire autant de Poitrine et de quelques autres. Mais cette raison, quoiqu'extravagante et insupportable, a fait néanmoins qu'on s'est abstenu de le dire et de l'écrire, et que par cette discontinuation, qui dure depuis plusieurs années, l'Usage enfin l'a mis hors d'usage pour ce regard. De sorte qu'en même temps que je condamne la raison pour laquelle on nous a ôté ce mot dans cette signification, je ne laisse pas de m'en abstenir, et de dire hardiment qu'il le faut faire, sur peine de passer pour un homme qui ne sait pas sa langue, et qui pèche contre son premier principe qui est l'Usage.