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LE NOVICIAT


de Notre-Seigneur. Les jours suivants, trois lettres arrivent, et trois postulants reçoivent le saint habit. Henry reste seul avec les vêtements du siècle un jour encore, deux jours, trois jours, des larmes plein les yeux. Enfin, le 13 lévrier, au soir, on apporte un télégramme de l’évêché de Novare, annonçant l’expédition des lettres attendues. Le lendemain matin, le frère Verjus — nous l’appellerons ainsi jusqu’à son sacerdoce — revêtait la soutane, une longue et vieille soutane, du haut en bas toute rapiécée, et dont la teinte originelle avait depuis longtemps disparu. Mais, qu’importe la valeur et la couleur ! Il suffit que ce soit une soutane, c’est-à-dire le vêtement de l’immolation. Aussi, tel fut le bonheur du Frère qu’il se mit à danser. « J’étais fou de joie, dit-il ; je ne voulais pas y croire. » Dans son élan, la soutane s’accroche je ne sais où, et se déchire. Le novice, un peu confus, attristé surtout, subit de son mieux les traits plaisants de ses jeunes confrères et la première et douce gronderie du Père-Maître. Racontons encore, pour n’y plus revenir, un épisode de ce temps-là.

Le frère Verjus avait un peu de peine, surtout dans les commencements, à donner à sa démarche cette gravité qui est requise par la modestie religieuse. Un jour donc le Père-Maître lui imposa, comme pénitence réformatrice, de traverser la grande cour du noviciat, comme s’il eût dû la mesurer. Il devait, à chaque pas, appliquer le talon d’un pied à l’extrémité de l’autre, et la consigne était de répéter cet exercice à chaque fois que l’ardent savoyard passerait par la cour. Il y eut bien d’abord, de la part des novices, quelques sourires : pour être sur le chemin de la perfection, on n’en est pas moins homme à de certaines heures, et, du reste, c’est un fait d’expérience qu’il faut chercher ailleurs que dans un noviciat la terre classique de la mélancolie[1] ; mais le frère Verjus fit son expériment

  1. « Quelle douce et délicieuse année ! écrit un témoin. Tout semblait fait pour nous rendre heureux : Un pays magnifique, une belle propriété, une nombreuse réunion de jeunes gens pleins d’ardeur, de piété, de vie ; une direction douce et paternelle ; les fréquentes visites et les intéressantes conférences d’un Père dont l’austère figure nous effraya bien un peu au commencement, mais dont nous ne tardâmes pas à apprécier, et la bonté, et la haute vertu. Naturellement nous eûmes à un très fort degré la maladie habituelle des noviciats : une gaîté qui se traduit par des éclats de rire involontaires aux moments les plus inattendus et les plus sérieux. Le frère Verjus, qui ne connut jamais la dissipation, mais qui faisait de grands efforts pour être très recueilli, échappa moins que personne à la contagion du rire, et bien des scènes de lectures spirituelles sont restées fameuses. Heureux temps où l’on riait de si bon cœur ! Le Père-Maître ne nous en voulait pas trop ; même quelquefois il essayait vainement de dissimuler les efforts qu’il faisait pour ne pas prendre part à l’hilarité générale... »