Aussi a-t-il escaladé l’ambon d’un pied ferme, et, avec une
assurance qu’on ne lui connaissait pas, il fait face à l’auditoire ; puis, d’une voix forte, il annonce le titre de son
poème : Fanfan-t-et-Colas. La salle entière accueille ce
« cuir », comme on dit en terme d’écolier, d’un formidable
éclat de rire. Le déclamateur s’aperçoit de sa distraction
et rougit. Quand le silence s’est rétabli, il essaie, mais en
vain, de déclamer le morceau : il l’a oublié. De retour à sa
place, Henry fond en larmes. L’un de ses voisins veut le
consoler. « Oh ! répond-il, ce n’est pas parce que l’on s’est
moqué de moi que je pleure ; mais je sens que je ne
pourrai jamais rien faire. Toute ma vie, je serai inutile, et
voilà ce qui me désole. » Bien des années après, il rappelait
l’aventure à un de ses amis et il ajoutait : « Ce fut un
châtiment de ma présomption ; car, le meilleur moyen
d’échouer en tout est de compter sur ses propres forces. »
Combien de fois, dans ses conversations, dans ses lettres
et dans son Journal, il a gémi de n’avoir pas plus de facilités
pour l’étude ! D’instinct il comprenait que la science
doublait les forces du prêtre. « Priez, écrivait-il[1] , afin que
nous fassions d’excellentes études. Hier, un Père Bénédictin
qui est venu nous voir, nous disait : « Mes chers
enfants, un prêtre sans science ne peut faire grand
bien. Mais, moi, je suis effrayé quand je pense à tout ce
que doit savoir un prêtre… Si je n’avais la grâce de Dieu,
il me semble que j’y renoncerais. » Plus tard il écrira de
Nouvelle-Guinée : « Je sens combien est indispensable la
science, et, tous les soirs, avant de me jeter sur ma natte,
je repasse quelque chose de nos saints dogmes et de la
théologie morale. Je prépare toujours avec soin mes sermons,
mes conférences et même mes catéchismes aux sauvages. »
VI
Le trait saillant de la physionomie de Henry Verjus à cette époque fut l’esprit d’apostolat auprès de ses condis-.
- ↑ Lettre à M. C, du 13 juillet 1876.