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CHEZAL-BENOÎT

Le soir, le jeune étourdi, à genoux au pied de son lit où il récitait une dernière prière, entend derrière lui comme un frôlement. Il se retourne. C’était Verjus qui lui baisait les pieds. Alors, tout confus, il se lève : « Que faites-vous donc ? lui dit-il. C’est moi qui devrais vous baiser les pieds. N’est-ce pas moi qui vous ai offensé ? » Très simplement Henry Verjus répond : « Je viens vous demander pardon ; car, durant quelques minutes, j’ai été bien en colère contre vous, intérieurement. Le Père m’a permis de venir vous avouer ma faute, de vous baiser les pieds et de me recommander à vos prières. » Alors, deux mains fraternelles se nouent dans une chaude étreinte, et en voilà pour toujours.

Les efforts continus que faisait Henry Verjus pour arriver à une complète maîtrise de lui-même, donnèrent en peu de temps à son caractère une gravité supérieure à son âge. Ses études elles-mêmes s’en ressentirent. Il apprit peu à peu à réfléchir, à penser, à exprimer droitement, uniment, couramment, ce qu’il voulait dire. N’est-ce donc rien ?

Cependant il s’en fallait que toutes les difficultés eussent disparu du jour au lendemain. La mémoire, surtout, restait revêche. Plus d’une fois, elle fut pour l’écolier une source d’humiliations auxquelles volontiers il se résignait.

Une, entre les autres, fut longtemps célèbre à la Petite-Œuvre. Tous les soirs de dimanche, il y avait une séance dite de déclamation. Aucune espèce d’apparat. Montait à l’estrade qui voulait. On récitait quelques morceaux de littérature appris en classe pendant la semaine ou aux heures libres en supplément. Le P. Marie avait maintes fois exprimé le désir que chacun prît part à cet exercice qu’il couronnait lui-même par une lecture, magistralement faite, de quelque grande page du dix-septième siècle. Un soir, Henry monte en chaire et présente un conte en vers que l’on rencontrait dans les anthologies de ce temps-là : Fanfan et Colas. Durant quinze jours, le pauvre écolier a sué sang et eau pour emmagasiner dans sa mémoire les rimes de l’abbé Aubert : il sait son conte imperturbablement.