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À LA CONQUÊTE D’UN MONDE

liques et nos chers sauvages. Nous ne manquerions pas de clientèle, et, par les corps, nous gagnerions bien des âmes, et nous n’aurions plus de ces spectacles qui nous navrent, comme celui que nous eûmes ces jours derniers. On portait en terre un noir, mort dans une maison de l’île. On n’aurait pas porté plus mal une pauvre bête. C’est révoltant. Tout le monde le sent, et je vous assure que les Filles de Notre-Dame du Sacré-Cœur auraient là un vaste champ pour servir la Mission. Elles feraient plus de bien que nous, car elles nous ouvriraient les cœurs[1]. »

Cette barque, que rêve le P. Verjus, ne servira pas seulement à visiter les Manillois, mais les sauvages des îles avoisinantes. Dans chaque île, on dressera une hutte qui servira de chapelle et de refuge au Missionnaire. « Vous ne sauriez croire, écrit-il[2], dans quelle abjecte dégradation ces pauvres sauvages sont tenus ici ! On tes regarde comme des animaux. On les séquestre quelquefois. Quand ils travaillent pour les blancs, on se croit tout permis à leur égard, même les injustices les plus criantes. On refuse de les payer suivant les contrats passés avec eux. Ces contrats étant faits de vive voix et les pauvres sauvages ne sachant pas écrire, il n’y a pas moyen de réclamer. Ces malheureux sont obligés de courber la tête et de s’en retourner les mains vides. Vous jugez s’ils aiment les blancs après de pareilles injustices ; aussi, se méfient-ils de tous en général et ils ne peuvent pas encore croire à l’affection désintéressée que nous leur portons. »

En attendant la maison des malades, il faut bâtir la maison du bon Dieu. On y pensa longtemps, durant près de sept mois, mais les moyens manquaient. Enfin, un jour de sainte audace, le P. Verjus réunit les Manillois, « nos bons Manillois », comme il disait, et il leur expose la convenance, l’utilité, la nécessité d’une église. « Quel honneur, d’avoir Notre-Seigneur dans votre île[3] ! » Tous promettent

  1. Lettre au R. P. Jouët, 22 avril 1885.
  2. Lettre au P. Jouët, 22 avril 1885.
  3. Journal, 29 mars.