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LE SCOLASTICAT

prescrivait le médecin debout au chevet du moribond. La communauté tout entière se leva pour les dernières onctions et les dernières prières. Le malade semble avoir perdu toute connaissance. Ses mains sont crispées si violemment qu’on ne peut les ouvrir pour les oindre. Son visage pale est comme voilé par l’ombre de la mort. Le regard n’est plus vivant. Seule, la poitrine se gonfle. La respiration, déplus en plus pénible, devient haletante… Et voilà que, tout à coup, tandis que le prêtre récite la prière de la Recommandation de l’âme, le malade ferme les yeux, puis les rouvre. Ses traits se raniment. Une expression de joie, pour ainsi dire lumineuse, baigne tout son visage. Ses regards semblent fixer une apparition céleste. Ses mains froides et lourdes s’agitent, se soulèvent, comme pour saisir l’objet divin. Puis, ce sont des mots d’extase, entrecoupés de silence : « Oh ! que c’est beau !… Que c’est beau !… Bonne Mère !… Sacré Cœur !… Qu’elle est bonne, cette bonne Mère, de venir me trouver en ce moment !… Quel bonheur !… Sacré Cœur !… Que c’est beau !… » Et, fixant toujours de ses yeux irradiés le point céleste, l’heureux Frère souriait comme doit sourire un ange.

Cependant, autour de lui, on continuait les prières des agonisants. « Surpris des divers sentiments d’allégresse, de crainte, de bonheur, qui se peignaient successivement sur son visage, je fis, raconte le frère Verjus, une attention spéciale aux paroles liturgiques, et je crus remarquer, à n’en pas douter, que notre bon Frère, qui regardait toujours la vision, lisait, dans celte lumière de l’autre vie, tout ce que l’on demandait pour lui sur cette terre. Il suivait les prières dans la vision. Quand le prêtre dit : Venez, anges de Dieu, à sa rencontre, il sembla tout rayonnant et il saluait de la tète les êtres invisibles qui paraissaient devant lui. Quand le prêtre dit : Pardonnez-lui, Seigneur, il a toujours cru et espéré en vous, il fit des signes d’affirmation et il y avait de l’amour et du regret dans son regard. Enfin, quand le prêtre dit : Partez,