Page:Vaudon - Monseigneur Henry Verjus, 1899.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
L’EXIL


suis heureux[1]. » Bientôt, il datera son Journal de l’exil. Le 8 novembre, au soir, en effet, à l’heure où il conduisait ses élèves au dortoir, un de ses confrères l’arrête dans la rue et l’avertit, au nom du Père général, qu’il partira cette nuit même pour Barcelone. « L’émoi, lisons-nous dans ses notes, se répand parmi nos chers enfants ; les rangs se rompent ; l’émotion nous gagne, et, sur place, nous nous faisons nos adieux. Ils furent touchants et pleins d’affection de part et d’autre. » Le bon Frère rentre au Sacré-Cœur où il fait son petit paquet. Ce ne fut pas long. La Basilique étant sous les scellés, il ne put y pénétrer pour une prière à Notre-Dame du Sacré-Cœur. Il s’agenouilla près de la porte et fit là ses adieux à la divine prisonnière. « Nous nous éloignâmes lentement, écrit-il, de ce lieu béni où nous avions passé des jours si heureux. Ce qui nous le rendait plus cher, c’est que nous y avions souffert, c’est qu’on y souffrait encore. »

La tristesse du départ fut tempérée un peu par les compagnons mêmes de l’exil : un Irlandais, à peu près de l’âge du frère Verjus, le bon et pieux frère Neenan, et le bien-aimé P. Marie, l’ancien supérieur de la Petite-Œuvre, dont le lecteur n’a pas sans doute oublié le nom. « Ce bon Père est toujours le même : même cœur, même délicatesse, mêmes manières enfin qui font de lui le Missionnaire-type... Voir le P. Marie me fait plus que de l’entendre, bien que mon bonheur serait de l’écouter des heures entières[2]. »

Les exilés crurent prudent, tant les sectes avaient, en certains milieux, surexcité les esprits, de revêtir des habits laïques. Le frère Verjus s’est amusé dans son journal à esquisser la silhouette des trois voyageurs. On dirait un dessin de Cham ou de Callot en marge d’un lugubre exode. « Le P. Marie ressemblait à un mylord : un grand pardessus fourré, un col à la mode, et un grand

  1. 6 novembre.
  2. 2 novembre.