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UNE VENGEANCE

passés dans ce lieu bizarre avaient suffi pour m’enlever le scepticisme dont je faisais habituellement parade : mes nerfs vibraient terriblement et la solitude me devenait intolérable. Je ne pus fixer mon attention sur le volume que je tenais, mes yeux seuls suivant, sur la page blanche, les caractères alignés. Les événements inattendus acquièrent ou perdent de leur gravité, selon les dispositions d’esprit ou selon les circonstances plus ou moins étranges dans lesquelles on se trouve. Il arrive parfois qu’on est appelé à veiller un être cher, et, ce devoir bien que douloureux n’a rien de surprenant ; mais, si l’existence qui vient de s’éteindre a eu un dramatique et mystérieux passé, si de sinistres pressentiments nous enveloppent depuis quelque temps, tout devient fantastique et terrible, et il n’est pas peut-être de pire supplice que celui de la terreur. C’est dans l’isolement surtout que le pâle fantôme vient nous tourmenter. L’être le plus faible, un chien qui nous caresse, un enfant qui nous sourit, quoi que ni l’un ni l’autre ne puissent nous défendre, sont des appuis pour le cœur, sinon des armes pour le bras. Je restais immobile, la sueur de l’effroi sur le front. J’écoutais sonner à la pendule les tristes heures de la nuit, et à ce bruit si naturel pourtant, je me cramponnais au bras de mon fauteuil, avec une inexprimable angoisse.