Page:Vaudere - L anarchiste.pdf/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
UNE VENGEANCE

pu guider un criminel ? Le vol ? Bérénice n’avait pas d’argent sur elle. Sa beauté, il est vrai, pouvait faire naître le désir d’un crime plus grand ; mais, j’aurais entendu ses cris, j’aurais suivi ses traces, morte ou vivante, je l’aurais retrouvée. Et la torture de ne rien savoir, de ne rien pouvoir imaginer, s’ajoutait aux autres souffrances. Je m’étais enfermé dans un silence farouche, la vue même du nègre m’exaspérait. N’aurait-il pas dù rester auprès de Bérénice, la protéger, la guider ? J’étais le maître après tout, pourquoi m’avait-il désobéi en quittant la bibliothèque ?

» Porto se faisait tout petit, ne levait les yeux sur moi qu’en tremblant, et poussait des gémissements au moindre reproche.

» Un soir, après avoir bu quelques gorgées de vin d’Espagne, je me sentis tout ensommeillé ; la tète me fit mal, une extrême lassitude me força de m’étendre sur le lit, et je ne tardai pas à perdre connaissance.

» D’effroyables visions me hantèrent alors, sans qu’il me fût possible de secouer l’engourdissement de ma pensée et de mon corps. Un poids intolérable m’écrasait la poitrine, je faisais d’inutiles efforts pour appeler à l’aide.

» Je ne sais combien de temps je restai ainsi, mais cela me parut un siècle. Enfin, les brumes qui m’enveloppaient s’évanouirent tout à coup,