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LE CENTENAIRE D'EMMANUEL

Que ne puis-je lui crier : « Emmanuel, c’est moi ! Ne sens-tu pas que le même souffle nous anime ! Que ses vers fort beaux, je le veux bien, n’ont pas le fini et la splendeur des miens ? Je suis Emmanuel, mais un Emmanuel plus jeune, plus vibrant, plus complet, un Emmanuel qui n’ignore plus rien et que le tombeau a couvert de son ombre pour le rendre plus robuste et meilleur. »

Non, je ne puis lui crier cela, parce qu’il me croirait fou et m’abandonnerait. Or, je l’aime cet ami, je n’ai que lui. Sans parents, sans foyer, sans protection, j’ai grandi comme j’ai pu, vivant d’aumônes et consacrant au travail les quelques sous ramassés au hasard. La faim a déchiré mes entrailles, le froid a raidi mes membres, le meurtre a tenté mon bras. Mais, les boues sanglantes de la réalité disparaissaient bientôt, et si ma pensée parfois s’y trempait les ailes, ce n’était que pour mieux les essuyer aux voiles d’azur de l’éternelle fiction !

Le vrai poète n’a que le souci mystique de l’impérissable, et sa hautaine chevalerie le voue presque toujours à la défaite. Il chante éperdument son cantique éternel, dédaignant de se faire comprendre de ceux qui, de parti pris, restent sourds aux humbles et aux résignés.

Un jour que, succombant de faim et de tris-