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NIHILISTE

les femmes pour les fleurs sylvestres, de grosses gerbes de jacinthes bleutées et de primevères jaunes, nous nous assîmes sur la mousse et nous retirâmes d’une petite valise que j’avais apportée notre léger repas : de grosses crevettes roses, un pâté d’alouettes, les premières fraises de la saison, de la crème et une bouteille de Clicquot.

Je mangeais sur ses lèvres et lui prenais autant de baisers que de morceaux. Des oiseaux venaient picorer nos miettes et les frelons bourdonnaient autour de nous, attirés par le fin parfum des fraises.

Je restais silencieux, enivré jusqu’à l’extase. Louise s’était mise à chanter sur un rythme bizarre : tantôt lent comme une prière, tantôt violent et saccadé comme un chant guerrier. Sa voix était très étendue, métallique, avec des notes chaudes et graves. Je ne la connaissais pas encore, et quand la jeune fille eut fini, je la priai de recommencer. Elle m’obéit docilement, et son visage prit subitement une expression de grande tristesse.

Alors, je sentis un souffle froid passer sur moi : cette voix me révélait une Louise autre que celle que je connaissais. Il y avait dans cette chanson des notes farouches, lancées comme un défi, des appels déchirants, des sanglots et des menaces.

— Où donc as-tu appris cela ?