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NIHILISTE

Pendant plusieurs jours, je ne l’aperçus pas. Peut-être sortait-elle par l’issue qui était à l’autre extrémité du jardin, et qui donnait rue d’Assas. Je m’y postai, durant toute une après-midi, caché par un massif de fusains. Vers quatre heures, je la vis venir, l’air inquiet, la démarche hésitante. Elle ne pouvait me voir, mais elle me pressentait, avec le sens subtil particulier aux amants et aux criminels. Pourtant, elle avançait toujours, en tournant la tête à droite et à gauche. Elle n’avait qu’un pauvre mantelet qui ne devait pas la garantir du froid. Ses traits amaigris, crispés pour ainsi dire, révélaient les privations et les chagrins.

Je lui barrai le passage ; elle poussa un cri, comme si elle eût marché sur un reptile.

Sans y prendre garde, je tombai à ses genoux, embrassant le bord de sa robe.

— Je ne peux plus vivre sans vous ! lui dis-je. Ne voyez-vous pas que je vous aime follement ?

— Et moi aussi, je vous aime, murmura-t-elle, mais je ne suis pas libre !

— Pas libre !… Vous êtes mariée ?…

— Non.

— Fiancée, sans doute ?…

Elle secoua la tête.

— Quoi donc, alors ? Si vous n’êtes point mariée, et que vous ne vous soyez promise à aucun