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En Suisse l’œuvre de Vattel est favorablement accueillie. Mais deux noms éclipsent le sien : celui qui avait appliqué la méthode cartésienne à l’exégèse juridique et renouvelé l’étude du droit international, Jean-Jacques Burlamaqui, et un autre, et plus illustre, Jean-Jacques, dépassent le diplomate lettré, qui n’écrit que pour se distraire. Entre Burlamaqui, auteur de l’école du droit naturel, et Rousseau, la gloire de Vattel s’obscurcit un peu[1].

« Ami de toutes les nations, » d’ailleurs nourri de l’esprit des physiocrates et de l’Encyclopédie, Vattel n’avait eu garde d’oublier, dans son livre, un compliment à l’adresse de la France :


« Il est d’une Nation polie de bien accueillir les étrangers, de les recevoir avec politesse, de leur montrer en toutes choses un caractère officieux… Nul Peuple n’est plus digne de louange à cet égard que la Nation Française. Les étrangers ne reçoivent point ailleurs un accueil plus gracieux, plus propre à les empêcher de regretter les sommes immenses qu’ils versent chaque année dans Paris. » (II, § 139.)


Encore que le trait de la fin atténuât la délicatesse de la louange, la France n’en avait pas moins reçu, de l’amitié de Vattel, sa part d’éloge. Mais, au même moment, paraissait un autre livre dont l’éclat effaçait celui du Droit des gens. Le philosophe de Genève achevait le Contrat social par cette conclusion : « Après avoir posé les vrais principes du droit politique et tâché de fonder l’État sur sa base, il resteroit à l’appuyer par ses relations externes, ce qui comprendroit le droit des gens ;[2] » conclusion qui n’était qu’une transition, l’annonce d’un ouvrage, dont le Comte d’Antraigues[3] devait plus tard recueillir des vestiges d’exécution, sur le commerce, la guerre et les conquêtes, le droit public, les ligues, les négociations, les traités. Comment le public français eût-il accueilli Vattel quand Rousseau lui donnait l’espérance du Contrat international, postulé par le Contrat social[4] ? Le Droit des gens de Vattel est de 1758. Dès le début de cette même année, l’éditeur de Rousseau, Marc Michel Rey, le pressait de lui livrer ses « principes du droit de la guerre.[5] » Attendant, sur ce sujet, l’œuvre de Rousseau, dont le Contrat social, correspondant au livre Ier de Vattel, était comme la première partie, le lecteur français ne devait prêter qu’une attention médiocre à l’ouvrage de ce Neuchâtelois, qui ne savait pas, aussi bien que le Genevois, manier sa langue.

  1. « C’est de Genève que parut l’Esprit des lois et le Contrat social en sortit." (Borgeaud, Histoire de l’Université de Genève.)
  2. J. J. Rousseau, Contrat social, livre IV, ch. IX. Conclusion.
  3. Léonce Pingaud, Un agent secret sous la Révolution et l’Empire. Paris, 1893.
  4. Cfr. Windenberger, Essai sur le système de politique étrangère de Rousseau, Paris, 1899.
  5. « Mes principes du droit de la guerre ne sont pas prêts. » Réponse de J.-J. Rousseau à son éditeur, Marc Michel Rey, mars 1758, Lettres inédites de J.-J. Rousseau à Marc-Michel Rey, publiées par Bosscha, page 32.