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fois le nom de neutralité pénètre dans un traité de droit des gens. Grotius indiquait les non-belligérants, par périphrase, d’un de ces termes vagues, qui signifient clairement qu’une doctrine précise n’est pas encore formée : De his qui in bello medii sunt. Bynkershoek les appelle non-hostes. Vattel les nomme neutres (Livre III, § 103). Très exactement, il définit les peuples neutres dans une guerre, « ceux qui n’y prennent aucune part, demeurant amis communs des deux parties. » Grotius tenait une telle condition pour difficile et dangereuse. Entraîné par sa distinction de la justice et de l’injustice de la guerre, il invite le neutre à ne rien faire qui puisse rendre plus fort celui dont la cause est mauvaise ou empêcher les mouvements de celui dont la cause est bonne. Vattel, au contraire, enjoint aux neutres de ne favoriser point les armes de l’une des parties au préjudice de l’autre (§ 103). Tant qu’un peuple neutre veut jouir sûrement de cet état, il doit montrer en toutes choses une exacte impartialité entre ceux qui se font la guerre. Bynkershoek admettait que le neutre pût donner simultanément des secours à chacun des belligérants. Vattel, le premier, déclare que l’impartialité n’est pas obtenue par l’égalité des secours, mais par l’absence de secours. « Ne point donner de secours, quand on n’y est pas obligé ; ne fournir librement ni troupes, ni armes, ni munitions, ni rien de ce qui sert directement à la guerre… ne point donner de secours et non pas en donner également : » telle est sa formule. « Car il serait absurde qu’un État secourût en même temps deux ennemis : » telle est sa raison.

Mais, à cette doctrine si ferme, il apporte, aussitôt, deux exceptions qui l’affaiblissent. Retenu par l’exemple des Suisses, qui, par traités, s’engagent à fournir des hommes à l’un des belligérants, mais n’entendent pas risquer d’attirer ainsi, sur leur pays, la guerre, il fait un devoir aux nations qui, d’avance, ont, par traités, promis des secours, de les accorder : « Quand un souverain fournit le secours modéré, qu’il doit en vertu d’une ancienne Alliance défensive, il ne s’associe point à la guerre » (§ 105). « Les Provinces-Unies ont longtemps fourni des Subsides, et même des Troupes, à la Reine de Hongrie, dans la dernière guerre… Les Suisses donnent à la France de nombreux Corps de Troupes, en vertu de leur Alliance avec cette Couronne ; et ils vivent en paix avec toute l’Europe » (§ loi). L’exception du pacte antérieur à la guerre, telle est la première restriction que Vattel apporte à sa formule, si rigoureuse et si nette, de la neutralité. D’autre part, il déduit, du droit de toutes les nations au passage innocent, que la concession aux armées ennemies du droit de passage ne rompt pas la neutralité. « Le passage innocent est dû à toutes les Nations avec lesquelles on vit en paix (Livre II, § 123), et ce devoir s’étend aux troupes comme aux particuliers. » Mais, à peine a-t-il posé cette exception, qu’il s’efforce de la restreindre. Le neutre a le