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les demande réellement et si les circonstances lui permettent de les accorder raisonnablement, avec les égards qu’elle doit à son propre salut et à ses intérêts » (II, § 9).

Mais un droit, dont nous sommes seul juge, ne relève que de nous : droit moral, sanctionné par le sentiment, plus ou moins juste et profond, que nous avons de notre devoir, il sort à peine des limites de notre conscience, il ne passe que légèrement le seuil du monde intérieur pour entrer dans le monde extérieur des réalités sociales. C’est une obligation interne, car elle « lie la conscience ; » c’est en même temps une obligation externe, car elle « produit quelque droit entre les hommes » (Préliminaires, § 17) ; mais c’est la source d’un droit imparfait, car elle ne donne à son bénéficiaire que le pouvoir de demander, sans y joindre celui d’obtenir. « Le droit parfait est celui auquel se trouve joint le droit de contraindre ceux qui ne veulent pas satisfaire à l’obligation qui y répond ; et le droit imparfait est celui qui n’est pas accompagné de ce droit de contrainte. L’obligation parfaite est celle qui produit le droit de contrainte ; l’imparfaite ne donne à autrui que le droit de demander » (Pr., § 17).

Ainsi s’explique que les Nations aient le devoir de s’ouvrir au commerce, et, cependant, le droit de s’y fermer, qu’elles aient le devoir d’accueillir les étrangers, et, cependant, le droit de les écarter ; qu’elles aient l’obligation de recevoir des consuls et cependant la faculté de s’y refuser, le devoir d’exécuter des lettres rogatoires et tout de même le droit de les rejeter, l’obligation de venir au secours des opprimés et cependant la faculté de n’en rien faire. Entre ces contraires, l’apaisement se fait. Mais la conciliation des contraires, au lieu de s’opérer suivant une interprétation étrangère à la volonté de l’État requis, s’opère, suivant l’interprétation, toute subjective, que, d’une règle étrangère à sa volonté, donne, au gré de cette volonté, l’Etat requis de l’appliquer. « Les Nations étant libres et indépendantes,… il suit que c’est à chaque Nation de juger de ce que sa conscience exige d’elle… d’examiner et de décider si elle peut rendre quelque office à une autre, sans manquer à ce qu’elle se doit à soi-même » (Préliminaires, § 16). La nécessité est-elle « pressante, » « extrême » (III, § 122) ? L’innocence de l’usage est parfaite ; son refus est une « injure, » c’est-à-dire un manquement donnant ouverture à réparation. Au contraire, le cas est-il « susceptible de doute. » « On n’a … qu’un droit imparfait, » dont le refus n’est plus une « injure. »

Du droit imparfait au droit parfait, la différence n’est donc pas de la morale au droit, car, dans l’esprit de Vattel, la faculté de demander est déjà un droit. Mais, que vaut le droit de demander sans celui d’obtenir ? De droit imparfait à droit parfait, de solliciter à exiger, la distance est grande : à quoi tient-elle, cependant ? À un doute. Le devoir altruiste d’assistance est-il compatible avec le devoir égoïste de conservation ? Alors, le droit