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inventer de toutes pièces et se bâtir un destin fondé sur son infatuation de soi-même et le mépris des autres : ces vérités incontestables ne seront jamais proclamées trop haut devant les artistes. La profondeur et la gravité des idées qu’elles soulèvent naturellement, loin de les faire écarter des conférences sur l’art, les y appellent. Toutes classes d’hommes, et même les plus infimes, ont besoin d’en savoir autant l’une que l’autre sur ces bases de toute vie intelligente, de tout travail sain, de tout effort fructueux. Le travailleur qui sur ces questions s’étourdit et passe indifférent, s’aveugle lui-même, tourne et s’épuise fâcheusement dans ses routines abrutissantes et dans ses innovations maladives, semblable à ces bêtes de somme aveuglées de même pour tourner la roue dans nos manèges. Dans quel cercle fatal, comme dans la nuit la plus épaisse, l’artiste intéressant dont nous nous occupons ne s’est-il pas agité ? Enfant privilégié, la Providence l’a fait naître sous un beau ciel, dans un beau siècle, avec un beau génie : s’il continue son père, il sera citoyen d’une noble ville ; s’il continue, ses maîtres, il prendra place à côté d’eux, dans une admirable école. Que lui manque-t-il ? Dans quel repli caché l’enchaînement naturel des choses a-t-il pu blesser ce cœur et inquiéter cette tête en apparence si bien faits ? De tout ce que la fortune cependant apporte à cet enfant, l’homme ne veut rien. À Venise pour lui tout est mauvais : l’air qu’on y respire, le pain qu’on y mange, les exemples qu’on y reçoit ; son bâton de voyage à la main, sans esprit