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écus, avec laquelle il nourrissait sa femme et ses six enfants. Le pape connut trop tard son état de détresse, et ne pouvait guère le croire aussi pauvre, le sachant si célèbre et si occupé.

Tel est en quelques lignes, et sans y rien ajouter, le résumé de cette vie heureuse comme l’appelle naïvement le Vasari ; dans toute autre bouche que celle d’un homme voué à la même profession que Baldassare, cette manière d’apprécier les choses paraîtrait une sanglante ironie. Mais le Vasari n’était point en présence des tribulations du grand artiste, il ne considérait que le résultat, et ce résultat lui paraissait tellement magnifique et tellement digne d’être envié, qu’il pouvait croire, malgré les apparences, au bonheur de celui qui l’avait obtenu.

D’ailleurs, n’avait-on pas vu Peruzzi conserver en soi-même une foi inaltérable au milieu de tous les motifs qui devaient le faire douter ? Ne l’avait-on pas vu, pendant quarante ans, porter fièrement le poids de ses chagrins et de ses privations sans interrompre un seul jour ses recherches savantes ? Ne l’avait-on pas vu, surtout dans sa dernière année, atteint d’une maladie dont il n’espérait pas guérir, échapper par la force de l’âme aux douleurs du corps, appliquer son esprit aux méditations de la science, avec tout le feu de la jeunesse, dicter à Serlio, son illustre élève, sa belle théorie de l’architecture, et à Battista Peloro, ses leçons de mathématiques, de cosmographie et d’astronomie ? Ce n’était point là un homme qu’on devait juger lâchement au point de vue du vulgaire. Grand et sage, il devait être proclamé heureux, et il