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ont vendu et dissipé tout ce qu’il avait amassé, et ses portes vivront encore long-temps (154). »

Jules III m’envoya une fois, à une heure de la nuit, demander un dessin à Michel-Ange ; il était alors occupé à travailler à ce groupe qu’il brisa. Il ne m’eut pas plus tôt reconnu à ma manière de frapper à la porte, qu’il quitta son ouvrage et vint m’éclairer avec une lanterne qu’il tenait par le manche. Je lui fis part de ce qui m’amenait chez lui à cette heure, et il ordonna à Urbino d’aller chercher le dessin. Pendant ce temps, en causant de choses et d’autres, je jetai les yeux sur une jambe du Christ qu’il voulait changer ; pour m’empêcher de la voir, il laissa tomber exprès sa lanterne, et, tandis qu’il appelait Urbino pour la rallumer, il sortit de son atelier en me disant : « Ah ! je suis si vieux, que la mort me tire souvent par l’habit pour que j’aille avec elle ; mon corps tombera quelque jour comme cette lanterne, et ma vie s’éteindra comme elle. »

Michel-Ange aimait beaucoup le Menighella, peintre médiocre du Val d’Arno, mais personnage très plaisant, qui venait de temps en temps le prier de lui dessiner un saint Roch ou un saint Antoine, d’après lequel il peignait un tableau pour les campagnards. Michel-Ange, qui se décidait avec peine à travailler pour les rois, abandonnait aussitôt son ouvrage pour composer des dessins naïfs, qu’il accommodait au goût de son ami. Il lui fit, entre autres choses, le modèle d’un Christ en croix d’une beauté remarquable, avec un creux pour mouler