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cardinal de Rouen (25), chargea Michel-Ange de sculpter en marbre le groupe de la Vierge et du Christ mort, que l’on plaça à Saint-Pierre, dans la chapelle de la Vergine-Maria-della-Febbre. Jamais artiste n’arrivera, malgré tous ses efforts, à la perfection de dessin, à la gracieuse facilité et à la franchise d’exécution que Michel-Ange déploya dans cette admirable composition, où il montra toute la force et toute la puissance de son art. Le Christ mort est d’une beauté inimitable ; la charpente du corps y les muscles, les veines, les nerfs, les emmanchements des bras, des genoux, des hanches, sont rendus avec une vérité qui tient du prodige. On ne peut concevoir comment il a été possible à un homme de tirer d’un bloc informe de marbre une création que la nature dans ses plus grands efforts aurait peine à enfanter. Enfin, c’est le seul ouvrage sur lequel Michel-Ange ait mis son nom ; voici ce qui l’y détermina : étant entré un jour dans le premier local qu’occupa son groupe, il entendit plusieurs Milanais en faire l’éloge ; mais l’un d’entre eux ayant demandé quel était l’auteur, on lui répondit : « c’est notre Gobbo de Milan (26). » Michel-Ange garda le silence ; mais, piqué de voir un autre jouir de l’honneur de ses travaux, il s’introduisit la nuit dans la chapelle, et muni d’une petite bougie et de ses ciseaux, il grava son nom sur la ceinture de la Vierge. Un bel esprit adressa les vers suivants à cette statue divine :

Bellezza, ed Onestate,
E Doglia, e Pietà in vivo marmo morte,