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injuste d’étouffer sous un dédaigneux silence. Préoccupés par l’ardent désir du mieux, tourmentés par l’impérieux besoin du progrès, ils ne purent avoir cette confiance irréfléchie, cet abandon extrême qui imprimèrent aux œuvres des premiers âges un caractère si puissant de vérité et de naturel. Retenus par les obstacles qu’ils s’acharnaient à détruire, au lieu de se glisser à côté, empêchés par les inquiétudes inséparables de leurs tentatives, ils ne durent point se livrer à cette action accélérée et fougueuse qui rendit si fécondes et si riches les époques plus avancées. Mais si, repoussant l’inspiration et n’appelant à leur aide que la réflexion, leurs produits furent moins faciles et moins saisissants, moins abondants et moins phénoménaux, ils possédèrent en revanche cette haute raison qui préserve des dissonances et des bizarreries, cette réelle justesse qui satisfait l’esprit, et cette noblesse sévère qui commande et impose le respect, sinon l’admiration. Apprenons donc à mieux connaître ces esprits patients et courageux dont les travaux modestes préparèrent les voies aux génies brillants qui les firent oublier. Inclinons-nous devant ces hommes qui eurent à lutter contre le doute, et qui furent grands par la réflexion, comme les autres, par le laisser-aller et la témérité ; inclinons-nous devant ces hommes qui n’eurent d’autre tort que celui d’être venus, pour leur gloire, ou trop tôt ou trop tard.