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ner le plus de jeunes gens que je pourrai, car j’ai un travail important à faire pour mon roi, et je veux avoir des Florentins pour m’aider. Comme les dessins sont plutôt d’un sculpteur que d’un orfévre, et que je dois exécuter un grand ouvrage en bronze, si tu viens avec moi, je t’instruirai et je t’enrichirai en même temps. » C’était un fort bel homme, très brave, qui avait plutôt l’air d’un vieux soldat que d’un sculpteur, surtout par ses gestes étonnants, sa voix sonore, et un froncement de sourcils capable d’épouvanter même un homme courageux ; il contait sans cesse ses hauts faits avec ces bêtes d’anglais. Un jour il vint à parler de Michel-Ange Buonarroti, à propos d’un dessin que j’avais fait d’après un carton de cet homme divin. « Buonarroti et moi, nous dit-il, nous allions ensemble, étant enfants, étudier à la chapelle de Masaccio, dans l’église du Mont-Carmel. Il avait l’habitude de se moquer de tous ceux qui dessinaient. Un jour entre autres qu’il me taquinait, il me poussa à bout, et je lui donnai un si violent soufflet à poing fermé, que je sentis les cartilages se briser sous le coup, comme si c’eût été une oublie. Je suis sûr qu’il portera toute sa vie la marque que je lui ai faite. » Ces paroles excitèrent tant de haine en moi qui voyais tous les jours les œuvres du divin Michel-Ange, que non-seulement je n’eus pas envie d’aller avec Torrigiani en Angleterre, mais que je ne voulais plus le voir. » (Mémoires de Cellini, traduction de Fargeasse.)