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En effet, les griefs qu’il expose, dans sa légitime passion pour les vrais intérêts de l’art, ont grandi depuis lui, loin de décroître. On peut même dire qu’il a vu seulement les prémices du mal que nous sentons maintenant dans toute son intensité ; et il faut croire que le Vasari fut bien sagace, ou que la plaie qu’il signale fut bien menaçante quand elle commença à s’ouvrir. Il eût été trop hardi sans cela, et en quelque sorte impudent, de s’élever si fort pour proclamer les droits de la jeunesse dans l’art, et pour réprimer l’influence que la vieillesse s’y arroge. En interdire l’exercice aux mains de ceux qui tremblent ou que l’âge appesantit, les pousser à la retraite, leur concéder à peine le droit des avis, et appeler en leur lieu les adolescents et les hommes chez qui le sang bouillonne, c’était alors une thèse anticipée. Le centenaire Michel-Ange se promenait encore dans les rues de Florence, et le Vasari, son pieux élève, n’avait pas encore conquis le triste honneur de porter son cercueil. L’Italie était remplie encore de la présence active ou de la mémoire fraîche de ces vieux athlètes qui avaient porté l’art si haut, et dont les muscles contractés, jusqu’à la dernière heure, en soutenaient majestueusement le poids. Léonard, à soixante ans, laissait la question indécise entre lui et son jeune rival ; à soixante ans, le Bramante apportait plus d’audace que de réflexion à la construction de Saint-Pierre ; Michel-Ange, à soixante-quatorze ans, achevait la Sixtine, et le Tintoret, à quatre-vingts ans, s’ébattait intrépidement encore au milieu de ses immenses machines. Sur les