passage, à savoir que Raffaellino, malgré la mystérieuse décadence de son talent, exécuta dans ses plus mauvais jours un très bel ouvrage pour le bon prêtre qui compatissait à son indigence.
Au reste, il paraît que le malheureux donna aux brodeuses de beaux dessins dont les marchands florentins s’enrichirent. La chose n’est pas mal en soi, et cela vaut mieux que de faire de mauvaise peinture pour vivre. C’est vendre son âme, et on ne le doit pas pour un morceau de pain. Il y a des métiers qui nourrissent leur homme et qui sont faits pour cela. Mais c’est une erreur commune dans laquelle tombe notre jeunesse quand la faim l’éprouve ! On avilit son art, qui devient ainsi une chose à argent ; de jour en jour le terrain se rétrécit, et le talent se perd avec la fierté. Sans doute toute œuvre mérite salaire, mais toute œuvre ne doit pas l’obtenir. L’œuvre doit d’abord être faite pour elle-même, et le reste lui vient en surcroît, quand il vient. Exercé par des faméliques sans conscience, où va notre art ? et à quoi peut-il répondre ? Aux instincts sales ou aux fantaisies épaisses d’une bourgeoisie hébétée, qui se sert de notre main pour accomplir l’œuvre qui lui plaît, et qui ne comprend que celle-là. Il vaudrait mieux que l’art pérît que d’être ainsi à la remorque, quoi qu’en disent les habiles gens. — Mais l’on prend pour point de mire quelques hommes d’un talent heureux, et l’on croit étourdiment rester toujours dans sa propre voie. Pourtant ce genre de talent n’est donné qu’à un bien petit nombre qu’il faut laisser faire et ne pas envier.