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n’a pu infirmer ce jugement. Maintenant, est-ce rabaisser les grands maîtres que d’y souscrire ? Loin de là, ce nous semble, c’est s’interdire seulement une comparaison où l’équité ne présiderait pas ; c’est mieux faire sentir ce qu’ils ont été réellement et par eux-mêmes, malgré les circonstances qui les ont moins efficacement servis ou davantage entravés. C’est vouloir, en un mot, dans l’appréciation des hommes les plus intéressants, s’appuyer sur une base plus large et moins partiale que celle des faits accomplis. Michel-Ange et Raphaël, que nous mettons hors ligne à cause de la somme de leurs résultats, s’ils ont dépassé dans leur développement Giotto, Léonard, Giorgione, Titien, André del Sarte, Rubens, Murillo, les ont-ils dépassés par l’intelligence et le génie ? Doit-on le croire ? peut-on le démontrer ? Qui peut affirmer que chacun de ces derniers, s’il fût venu dans des circonstances identiques, et s’il eût été fortifié par des secours égaux, n’eût pas rempli la même carrière ? Si chacun de ces artistes, qui n’ont point atteint le premier rang, a cependant prouvé, ne serait-ce que par une seule œuvre, qu’il était taillé comme ceux que la nature y destine, devons-nous nous contenter d’enregistrer qu’il n’y est pas parvenu ? est-il défendu de reprendre en leur nom la lutte qu’ils ont soutenue, pendant leur vie, contre la fatalité qui les enchaînait ? n’est-ce pas une brutale indifférence pour le génie que de ne pas essayer d’abstraire les difficultés qui ont limité son élan ? n’est-ce pas lui rendre l’hommage qu’on lui doit que de chercher à deviner l’éclat dont