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Comment le sourcilleux Michel-Ange lui a-t-il pardonné sa préférence pour le Vinci et sa tendre amitié pour Raphaël ? Comment les Médicis eux-mêmes ont-ils oublié son dévouement à Savonarole ? Comment a-t-il vécu entre le brutal Torrigiani et le remuant Bandinelli ? Sa grande modération dut être précisément son secret. Son immobilité, sa froideur, si l’on peut appliquer ces mots à un vaste esprit, le préservèrent des rudes atteintes de ses rivaux. En effet, cette organisation élastique était toujours prête à opposer ses lacunes aux aspérités de ces fougueux caractères, sa douceur à leur rudesse, son silence à leur jactance effrénée. Mais cela seul ne l’eût pas fait aussi grand qu’il nous le paraît. En ne blessant personne, le Frate tira parti de tout le monde. À l’excitation des Médicis, au spectacle de leur splendeur, il emprunta sa confiance dans l’avenir de l’art ; dans les prédications exaltées et républicaines de Savonarole, il puisa sa piété profonde et la simplicité de ses mœurs ; la propagande de Léonard imprima le mouvement à son esprit, et il n’est pas jusqu’à l’insouciance de son ami Mariotto qui ne lui ait servi, en augmentant son dédain pour toute prétention artistique, point plus essentiel qu’on ne croirait, puisqu’il peut préserver un maître de tomber dans l’affectation de sa propre manière.

Aussi le Frate serait-il l’homme qui résumerait le mieux à lui seul le talent florentin ; non pas qu’il ait reproduit les saillies et les singularités audacieuses de tel ou tel de ses compatriotes, mais parce qu’il a su insérer dans son résultat le trésor entier de la