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cendre avec le temps à l’inintelligence et à une banalité si basse ? Comment le Bramante a-t-il pu manœuvrer avec tant de liberté, d’abondance et de grâce dans des limites si rigoureuses et si exactement décrites ? Dans quelle mesure cet amant passionné de l’antiquité grecque et romaine a-t-il travaillé, pour que son imitation nous paraisse si pudique encore, si on peut s’exprimer ainsi, au milieu des plagiats effrontés et sans raison de tant de ses successeurs ? Dans quelle mesure cet ardent déserteur de l’art gothique a-t-il compris qu’il fallait en conserver les traditions ? car l’architecture du Bramante, qu’aucun dessin ne peut dignement rendre, tant la finesse et la grâce en sont inexprimables, est un complet mélange de la double tradition de l’art grec et de l’art gothique. De la donnée spiritualiste de l’art du moyen-âge, le Bramante a su retenir la naïveté et la liberté, la construction svelte et indépendante ; et à la donnée panthéiste de l’art païen, il a su ravir sa sobre et imposante régularité, son assiette tranquille et noble.

L’architecture du Bramante impressionne et frappe comme l’aspect de la ville éternelle à demi païenne, à demi catholique. Devant les palais du roi d’Angleterre et de la chancellerie, si grands et si larges, on évoque la Rome antique et l’art grec ; devant son temple rond de San-Pietro-in-Montorio, on retrouve les souvenirs de la Rome nouvelle et de l’art chrétien.