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Disons enfin, pour clore la revue de ses travaux, qu’il exécuta, à sa grande satisfaction, plusieurs bacchanales dans la maison de Giovan Vespucci, vis-à-vis San-Michele della via de’ Servi, aujourd’hui di Pier Salviati. On peut se figurer facilement quel beau champ de tels sujets ouvraient à l’imagination de Piero. En effet, il y a de quoi rester émerveillé devant la grâce de tous ces enfants, et de toutes ces bacchantes, et devant l’étrangeté de toutes ces figures à physionomies de boucs, satyres, faunes et sylvains. Rien n’est spirituel comme le Silène, qui s’y rencontre, rayonnant d’une joie bachique, et monté sur un âne auquel il donne à boire en marchant.

Piero, dans ses ouvrages, savait allier à l’esprit le plus fantasque et le plus original une grande finesse d’observation et une connaissance approfondie de la nature ; il travaillait pour lui-même, et la satisfaction intime que lui procurait son art le rendait insensible aux fatigues et à la longueur du temps qu’exigeaient ses productions. Il ne pouvait en être autrement chez un homme passionné, qui, ne tenant aucun compte de son bien-être, en était venu à se soucier si peu des jouissances matérielles, qu’il vivait continuellement d’œufs durs, cuits non pas pour chacun de ses repas, mais par cinquantaines à la fois, afin d’épargner le temps ou le feu, lorsqu’il faisait chauffer sa colle. Alors le bon Piero ne s’inquiétait plus de sa nourriture, jusqu’à ce qu’il ne trouvât plus un seul œuf au fond de sa corbeille. Toute autre manière de s’arranger dans la vie lui paraissait une servitude, en comparaison de la sienne.