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musique, paroles et costumes, avec grand renfort d’acteurs à pied et à cheval. Il y avait bien là, il faut le reconnaître, une donnée large et ingénieuse ; et ce devait être quelque chose de magnifique à voir la nuit, à la lueur de plus de quatre cents torches, qu’un cortége de cavaliers, travestis avec goût et intention, cheminant deux à deux sur leurs chevaux splendidement harnachés, escortés par des valets en livrée uniforme et portant les flambeaux. Le char du triomphe, richement orné, était plein d’objets bizarres : cela enchantait le peuple et ouvrait les esprits.

Parmi toutes ces fêtes, je veux succinctement en signaler une qui fut conduite par Piero, déjà sur le retour de l’âge. La gaieté de celle-ci ne fit pas son succès, elle plut, au contraire, à cause de ce qu’elle avait d’horrible et d’inattendu ; car l’horrible peut nous plaire quand on sait nous le présenter avec art et convenance ; les représentations tragiques en sont la preuve ; et l’on goûte ces choses comme les aliments acides et âcres qu’on recherche quelquefois.

Piero avait donc très secrètement exécuté, dans la salle du pape, un char de la Mort. Rien n’en avait transpiré, et la ville allait en recevoir en même temps le spectacle et la nouvelle. Cet énorme char s’avançait, traîné par des buffles ; sa couleur noire faisait ressortir les ossements et les croix blanches dont il était semé. À son sommet se trouvait la gigantesque représentation de la Mort, tenant sa faux en main, et entourée de tombeaux qu’à chaque station on voyait s’entr’ouvrir, et dont sortaient des personnages couverts d’une draperie sombre, sur laquelle