Piero s’était appliqué à la peinture à l’huile, après avoir vu plusieurs morceaux du Vinci, dont il sentait tout le mérite. Admirateur passionné de l’exécution exquise et harmonieuse de ce grand maître, il chercha à s’en rapprocher, mais il en resta toujours assez loin, et cela se comprend : il savait trop peu s’astreindre à un procédé habituel, et semblait chercher, à chaque chose qu’il commençait, un nouveau système d’exécution.
Si Piero n’eût pas été d’une humeur aussi excentrique, s’il eût tenu plus compte de lui-même dans sa vie, on aurait mieux apprécié son génie, et aimé davantage sa personne ; tandis qu’on ne le regarda guère que comme un fou, à cause de ses mœurs farouches et cyniques ; quoique, après tout, il n’eût jamais fait de tort qu’à lui-même, et qu’il eût servi réellement au progrès de l’art. Aussi, tout artiste éminent, tout homme d’un beau génie averti par ces exemples, devrait s’observer et faire attention à sa fin.
Cependant, je dois avouer qu’à ses débuts, Piero fut beaucoup recherché par la jeune noblesse de Florence, précisément à cause de l’extravagance et de la singularité de son imagination. Nos jeunes seigneurs l’employaient, au carnaval, à organiser leurs divertissements, qu’il savait enrichir d’une pompe et d’une grandeur inaccoutumées. On assure même que, le premier, il fit parcourir les rues aux mascarades, à l’instar des anciens triomphes. Au moins est-il vrai que, le premier, il sut leur donner plus d’éclat et de popularité, en introduisant une action à la représentation de laquelle il faisait concourir