Page:Vasari - Vies des peintres - t3 t4, 1841.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

42 GIORGIONE DA CASTELFRANCO.

faire passer cette imitation à travers leur personnalité et leur génie particulier. On pourrait dire, sauf la propriété des termes, qu’ils ont exprimé la nature plus encore comme ils la sentaient que comme ils la voyaient ; et c’est là le véritable point où l’art a gagné toute sa taille et accompli sa croissance. Les grands maîtres copient la nature, mais à leur façon. Giorgione et Léonard ont été d’étonnants portraitistes. Pourquoi ? est-ce pour avoir plus servilement que d’autres imité leurs modèles ? il n’en est rien. Chaque tête humaine sur leur toile conserve bien son caractère propre, mais le peintre cependant y a mis quelque chose de son individualité. Ceci peut paraître étrange au premier aperçu, mais les faits sont là : tous les portraits d’Holbein, depuis celui d’Érasme jusqu’à celui d’Anne de Boleyn, n’ont-ils pas tous, à différents degrés, dans leur physionomie, quelques traces de la patience et de la précision du peintre suisse ? Les portraits de Léonard retiennent quelque chose de son affabilité et de la finesse de son esprit. Ceux du Giorgione ont la richesse bizarre et la mâle ampleur de son caractère. Les chairs, l’éclat des yeux, les plans accusés des traits, les cheveux au vent, les cous tendus et brusquement posés, les raccourcis et les plafonnements soudains, les barrettes et les panaches, le velours, l’or et l’acier, devaient se traduire d’une manière inimitable et exclusive par l’ardent jeune homme de Venise. Rembrandt, Vandyck, Reynolds, si le temps et la distance peuvent permettre un tel rapprochement, eussent donné quelque chose de la bonhomie puis-