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GIORGIONE DA CASTELFRANCO. 11

également forts pour s’y placer, également forts pour s’y soutenir. Leur importance absolue est la même ; leur valeur relative dépend du bonheur des circonstances et de la longueur de leurs vies, de leur degré de volonté, du nombre de leurs ouvrages, et surtout des sympathies diverses qu’ils nous inspirent. Mais, pour le progrès de l’art, leurs intelligences sont équivalentes ; ou au moins on perdrait son temps à vouloir porter plus loin cet examen intime.

Presque tous les auteurs vénitiens ou florentins attribuent le progrès accompli par Léonard et le Giorgione à une volonté plus forte d’imiter la nature. Ceci nous semble incomplet ou mal formulé. Ces deux grands hommes ont placé l’art plus haut qu’il n’était, mais ce n’est point à cause d’une plus exacte imitation qu’ils sont arrivés à le faire : le Verrocchio et le Mantègne, le Pérugin et Masaccio n’avaient-ils pas regardé la nature de près, et lutté énergiquement pour arriver à la rendre ? Jean et Gentil Bellin marchaient-ils au hasard ? leurs efforts n’avaient-ils point une base ? Ne cherchaient-ils pas à se rapprocher le plus qu’ils pouvaient de la vérité matérielle ? Qu’y a-t-il donc qui soit moins la nature, par exemple, dans le portrait des frères Bellin que dans celui de Gaston de Foix que l’on voit au Louvre ? Si le regard demandait avant tout un trompe-l’œil, l’épreuve serait douteuse. Si Léonard et le Giorgione ont donné à leurs ouvrages une plus grande valeur, ce n’est pas tant pour avoir reculé les bornes de l’imitation, que pour avoir osé aussi fortement