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GIORGIONE DA CASTELFRANCO.

rivalité ? Le Vinci vient le premier ; le Giorgione voit ses ouvrages et en profite, précisément parce qu’il était fait pour avancer et pour créer. Dans ce sens, le Vasari a été judicieux, et son observation est fondée. Léonard de Vinci, le premier, donne au contour ou forme extérieure, et au modelé ou forme intérieure, cette vérité large qui résume harmonieusement toutes les vérités de détail, et ce caractère général qui exprime tous les aspects particuliers d’une chose. Essayer d’arriver là, c’était entreprendre une tâche immense ; en réaliser un seul exemple, dût-il rester unique, c’était participer à tous les résultats prochains qui devaient éclore sous le travail puissant de ses successeurs. Le Giorgione vient ensuite ; il n’imite pas, il ne reproduit pas Léonard : imiter et reproduire, c’est la part des écoles et des écoliers ; et le Giorgione est un maître. Mais ce que Léonard a fait pour la forme, le Giorgione le fera pour la couleur. Le premier, il va donner à l’objet représenté la grande localité de tons qui absorbera et contiendra toutes les nuances particulières ; la grande ampleur d’effet qui coordonnera tous les accidents partiels. À l’un donc aura appartenu, pour la première fois, l’unité et l’expression de la forme et du plan ; à l’autre, l’unité et la magie de la couleur et de l’effet. Ainsi, du moment que le Vénitien a vu le Florentin, il se place d’emblée à la même hauteur, et, partant de là, procède à ses œuvres originales. Michel-Ange, Raphaël, Corrége, Titien, une fois leur première jeunesse passée et leur apprentissage fait, sont tous partis d’un point identique ; il fallait qu’ils fussent