Page:Vasari - Vies des peintres - t3 t4, 1841.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

GIORGIONE DA CASTELFRANCO. 39

n’en doit pas être ainsi : le Vasari inscrit ses remarques à mesure qu’elles lui sont suggérées ; il s’occupe peu à les confronter ou à les résumer. Il raconte plus qu’il ne professe. Et ce n’est pas là le moindre mérite de son histoire : il est plus précieux pour nous, en effet, d’avoir maintenant les trésors d’un abondant chroniqueur que les élucubrations d’un théoricien systématique. Ainsi, au milieu d’une si longue revue d’hommes et d’œuvres d’art, nous comprenons parfaitement qu’il ait dû s’égarer quelquefois, et se contredire souvent en écrivant, sans les relire, ses impressions naïves et rapides. C’est pourquoi, nous consacrant à examiner son livre, nous nous efforcerons plutôt à l’expliquer qu’à le combattre. Alors, au lieu de heurter les deux assertions du Vasari, qui nous occupaient tout à l’heure, nous aimerons mieux chercher à les joindre, pour prouver que l’une et l’autre ont un côté vrai. Ce parti est facile à prendre, et il vaut mieux s’y arrêter que de se passionner, et de discuter longuement, comme Mengs, pour arriver à dire « que le Giorgione, en effet, n’a rien pris au Vinci, mais qu’il doit sa manière au Corrége. »

Pourquoi douter que le Giorgione ait pris quelque chose au Vinci ? est-ce que Léonard n’était pas assez riche pour fournir, et Giorgione assez fort pour prendre ce qu’il fallait au progrès ? n’est-ce pas le droit éminent des hommes forts, de donner à leurs successeurs et d’arracher à leurs devanciers ? Pourquoi faire d’une chose aussi naturelle, aussi généralement observée dans toutes les directions de l’esprit humain, une chétive question d’école et de