Le prieur du couvent était, ainsi que je l’ai entendu raconter, très-habile à composer du bleu d’outremer. Comme il en avait bonne provision, il voulut que Pietro en mît dans toutes ses peintures ; mais il était si défiant et si avare, qu’il exigea que notre artiste ne s’en servît qu’en sa présence. Ce procédé blessa la fierté de Pietro qui résolut de s’en venger. Lorsqu’il avait besoin d’outremer, le prieur en tirait, presque à contre-cœur, d’un petit sachet pour le verser dans une fiole, où il le couvait des yeux. Dès que Pietro en avait appliqué une ou deux touches sur la muraille, il trempait son pinceau dans un godet rempli d’eau, et au fond duquel tombait plus d’outremer qu’il n’y en avait sur le tableau. Le prieur qui voyait son sachet se vider sans grand profit pour la peinture, s’écriait souvent : « Oh ! quelle quantité d’outremer cette chaux dévore ! » — « Vous le voyez, » répondait Pietro, et le prieur n’était pas plus tôt parti qu’il mettait de côté l’outremer qui remplissait le godet. Et quand il jugea le moment favorable, il le rendit au prieur en lui disant : « Mon père, ceci vous appartient : apprenez à vous fier aux hommes de bien qui se conduisent toujours loyalement avec celui qui a foi en leur probité. Sachez que, s’ils le voulaient, il leur serait extrêmement facile de tromper les gens soupçonneux de votre sorte. »
La renommée de Pietro était devenue si éclatante, qu’il fut presque forcé d’aller à Sienne où il peignit, à San-Francesco, un grand tableau (3) et, à Sant’Agostino, un Crucifix avec quelques saints. Bientôt