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Gentile gagna les bonnes grâces de ce prince en lui donnant un tableau qui excita son admiration au plus haut point. Mahomet se refusait presque à croire qu’un homme mortel pût imiter la nature d’une manière si divine. Gentile ne tarda pas à faire de cet empereur un portrait que l’on regarda comme un miracle. Sa Hautesse demanda ensuite à Gentile s’il était capable de se peindre lui-même. Gentile lui répondit affirmativement et, peu après, lui montra son portrait qui paraissait vivant, ce qui confirma de plus en plus Mahomet dans l’idée que Gentile tenait quelque chose de la divinité. Certes il n’eût jamais consenti à son départ, si, comme nous l’avons dit, la loi du Prophète n’eût prohibé l’exercice de la peinture chez les Turcs. Soit donc par crainte de faire naître du mécontentement chez ses sujets, soit pour toute autre raison, Mahomet appela un jour Gentile, le remercia de ses services, l’accabla d’éloges, et lui permit de réclamer ce que bon lui semblerait, lui affirmant que rien ne lui serait refusé. Gentile, en galant homme, répondit qu’il ne sollicitait qu’une lettre de recommandation auprès du sérénissime sénat et de l’illustrissime seigneurie de Venise, sa patrie. Le sultan lui remit aussitôt une lettre conçue dans les termes les plus chauds et les plus flatteurs, et lui donna son congé en le comblant de présents et d’honneurs. Ainsi il lui passa au cou une chaîne turque du poids de deux cents cinquante ducats d’or que la famille Bellini possède encore aujourd’hui. Gentile arriva sans accident à Venise où il fut reçu avec une joie extrême par son