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cueillit ; trop tôt, hélas ! Ptolémée Évergète l’en chassa. Tous les habitants de cette ville immense s’enfuirent, y laissant seul avec ses gardes l’usurpateur dont ils avaient chaque jour à essuyer les outrages sanglants et meurtriers. L’art retourna alors en Grèce ; mais il ne tarda pas à y râler sous la main brutale et féroce des Romains qui, après s’être amusés à le mutiler, plâtrèrent et cautérisèrent ses plaies ou, pour mieux dire, le transformèrent, le comprimèrent dans un moule à leur guise, d’où il ne sortit que pour remplir le rôle qu’ils lui assignèrent dans leurs divertissements orgiaques. L’art transformé, l’art incarné romain, fils de la violence et du pillage, fut condamné à porter sur le front le stigmate de son origine que tous ses efforts furent impuissants à déguiser. Il eut beau agiter devant le monde, pour le fasciner et l’éblouir, les franges dorées de sa robe, partout l’œil reconnut les lambeaux arrachés à l’Orient, à l’Égypte, à l’Étrurie, à la Grèce. Rome, non par amour, mais par frénésie d’orgueil, par raffinement d’égoïsme, lui sacrifia tous ses trésors, impudemment volés ou légitimement acquis, et lui demanda en retour des chatouillements capables de raviver ses sens émoussés. La sculpture répondit bien à ses désirs. Courtisane habile, elle se façonna, elle se plia à tous ses caprices, à toutes ses extravagances. Mais comme certaines courtisanes, victime de ses honteuses complaisances, de ses dégoûtants et monstrueux excès, elle tomba appauvrie, dégradée, épuisée, les membres atrophiés, les organes flétris.