Page:Vasari - Vies des peintres - t1 t2, 1841.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ravages que l’amour du lucre devait un jour exercer dans toutes les écoles, il se serait bien gardé de nous donner si benoîtement l’étalage des richesses et des honneurs qui furent le prix des complaisances du manœuvre florentin. Que d’imitateurs Dello a rencontrés de nos jours ! Plutôt que de se résigner à d’honorables privations en se livrant à un travail glorieux de désintéressement et d’indépendance, que d’hommes aujourd’hui font de leur art et de leurs œuvres un métier servile, une banale marchandise ! Aujourd’hui l’argent n’est plus le moyen, l’art n’est plus le but : aujourd’hui l’argent est le but, l’art est le moyen. On le croira sans peine, nous sommes loin, bien loin de nous ranger parmi les heureux de la terre qui, avec un horrible sang-froid, vous disent que la misère sied bien aux travailleurs, que la faim est le plus puissant aiguillon du génie, que sans la misère et la faim les artistes croupiraient dans un ignoble repos. Nous comprenons tout ce que les préoccupations de la vie matérielle ont d’aride et de poignant ; nous sentons vivement tout ce que les soucis de l’existence renferment d’amertume ; nous savons tout ce qu’il y a d’angoisses et de douleurs pour une âme ardente lorsque, au moment d’étendre ses ailes, la main glacée de la pauvreté vient les briser violemment. Mais jeter l’art sur les sales comptoirs des escompteurs, n’est-ce pas imiter le père qui vend sa fille à la débauche des passants ? L’art, il ne faut pas l’oublier, l’art est une arche sainte, une arche inviolable, à côté de laquelle il vaut mieux mourir que de la lais-