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Giotto, autant qu’il l’a pu, sous les teintes blondes et les timides contours de ses peintures, à travers les délicates colonnettes de son architecture, introduisit le paganisme, le réalisme, le naturalisme, le matérialisme, sous lesquels le monde aujourd’hui dort dans la plus ignoble ivresse. Les véritables bienfaiteurs de l’art sont ailleurs ; la seule école de Sienne vous les montrera dans toute leur innocence et leur mysticité radieuse. Sienne seule a prié, a cru, a connu les extases et les saintes éjaculations. Florence avec Giotto, Florence avec son premier dessinateur, Venise avec Antonio, Venise avec son premier coloriste, sont des idolâtres qu’une sale volupté, celle de la forme et celle de la couleur, conduisent et polluent.

Quant à nous, qui, comme bien d’autres, ne savons pas trop ce que tout cela veut dire, nous pensons que l’art, si bien doté qu’il soit, n’a rien à revendre, et que tout ce que Dieu lui a donné il le doit garder, en s’en servant toutefois honnêtement et le mieux qu’il peut. Ce qui nous fait croire que puisque l’homme a reçu l’intelligence de l’idée, il doit tâcher de ne pas l’obscurcir en lui et de ne pas la perdre ; de même qu’il ne doit pas se défaire de son amour de la forme et se priver des satisfactions qu’elle lui donne ; ce qui nous fait croire encore qu’on a pu bien mériter de l’art dans plusieurs écoles ; et que Giotto, qui a élevé celle de Florence en particulier, et servi à toutes les autres en général, est un des hommes dont les amis de l’art, dans tous les pays, doivent garder un bon et reconnaissant souvenir.