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dit : « Dieu te garde, maître ; je voudrais que tu me peignisses mes armes sur ce pavois. » Giotto, considérant l’homme et sa tournure, se contenta de lui répondre : « Quand le veux, tu ? » L’autre le lui dit. « Laisse-moi faire, » répliqua Giotto ; et le vilain s’en alla. Resté seul, Giotto pensa en lui-même : Que signifie ceci ? l’aurait-on envoyé pour se moquer de moi ? jamais on ne m’a apporté de pavois à peindre. Ce maître sot me commande de peindre ses armes, comme s’il était de la famille royale de France : par Dieu je vais lui faire des armes nouvelles. Ayant ainsi ruminé, Giotto prend le pavois, dessine un heaume, un gorgerin, une paire de gantelets de fer, une paire de cuirasses, une paire de cuissards et de jambards, et ordonne à un de ses élèves de les peindre. Notre vaillant homme, étant revenu, dit : « Maître, est-il peint ce pavois ? » Giotto répond : « Oui ; allons ! qu’on le descende. » Le pavois arrivé, le gentilhomme ouvre de grands yeux et s’écrie : « Oh ! mon pavois est embrené ! » Giotto : — « Et toi, seras-tu embrené pour le payer ? » L’autre : — « Je ne le paierais pas quatre deniers. » Giotto : — « Et que m’as-tu dit de peindre ? » L’autre : — « Mes armes. » Giotto : — « Eh bien ! en manque-t-il une seule ? » L’autre : — « Bon, bon ! » Giotto : — « Au contraire, mauvais, mauvais ! Que Dieu te garde : tu es un grand imbécile. Si l’on te demandait qui tu es, à peine le saurais-tu dire. Si tu étais de la famille des Bardi, on te connaîtrait. Quelles armes portes-tu ? d’où es-tu ? quels furent tes ancêtres ? Hé ! n’as-tu pas honte ? Commence d’abord par venir au monde avant de