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juge en réfléchissant et par comparaison, sachons donc mieux faire respecter les éléments et les données de notre art. Tâchons qu’écrire sur l’art, sur les maîtres, sur les époques, sur les productions, sur les procédés, ne soit plus un thème que le premier venu puisse choisir entre mille autres, et broder à son gré ; car, malgré ce qu’on en peut dire et ce qu’il peut en sembler, c’est ainsi que les choses se passent. Sans doute, plus la facilité est grande, plus la matière est souple, mieux le thème se brode. Cela est clair et va de soi. Souvent de beaux talents s’y font reconnaître, et même peuvent y briller ; mais il n’en est pas moins vrai que l’on comprend, quand on veut y réfléchir, l’inqualifiable et déplorable indifférence que montrent les artistes, pour tout ce qui s’écrit sur l’art. Cette apathie procède de la méfiance et du dégoût.

Quoi qu’il en soit, cette disposition d’esprit dans laquelle se trouvent les artistes est une des plaies les plus honteuses de notre temps. Soit qu’ils la déguisent avec discrétion, soit qu’ils l’affichent avec impudeur, l’ignorance, fruit de la paresse et de la fatuité, ne tarit pas moins toutes les sources de l’art. C’est à elle que notre art doit avant tout l’emphase ridicule ou la plate trivialité qui le déshonorent également. Ces paroles sont dures, mais elles sont consciencieuses. Expliquons-nous. L’artiste, insouciant de sa nature, absorbé par ses travaux difficiles, privé assez généralement des données premières qui facilitent l’étude, aime peu s’occuper de la théorie et des idées difficiles à rassembler et à coudre qui doivent le guider dans la pratique. Quand l’artiste arrive à savoir son métier et à pouvoir se placer par l’exécution manuelle, soit au niveau de ses contemporains, soit à leur tête, il se trouve satisfait. Et il est vrai de dire qu’il lui faut pour cela des muscles et une intelligence dont il peut à bon droit s’enorgueillir ; mais cependant est-ce tout ? et l’orgueil qui aspirerait à se placer plus haut ne serait-il pas encore un noble et utile orgueil ? Quand l’artiste se sent arrivé au point que nous indiquons, il croit, malheureusement pour l’art, sa tâche finie, et se remet pour le reste aux mains des écrivains et des parleurs. Il se jette tête baissée dans toutes les idées